Mardi dernier, je me suis rendue à une conférence " La restitution des collections muséales au cœur du débat " - conférence proposée par l'ASBL MINEMA gestionnaire de la Cité Miroir.
Derrière ce titre que se cache-t-il au juste ? Durant moins d'une heure, nous avons entendu 4 personnes :
- Guido GRYSEELS - Directeur général de l'AfricaMuseum de Tervuren (BRUXELLES)
- Toma MUTEBA LUNTUMBUE - Historien de l'art, artiste et commissaire d'exposition indépendant. Il est Professeur à l’Erg (École de recherche graphique) à Bruxelles. Il a été directeur artistique et commissaire des 4e et 5e éditions de la Biennale de Lubumbashi, DRC, (2015-2017). Il fut, notamment, le commissaire, avec Boris Wastiau, de l’exposition Exitcongomuseum, à l'AfricaMuseum de Tervuren (2000-2001).
- Geoffrey GRANDJEAN - Chargé de cours à la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l'Université de Liège, il dirige Les Cahiers Mémoire et Politique (ULiège).
Modérés et interrogés par Françoise BONIVERT
Ces quatre personnes étaient là pour échanger leurs points de vue par rapport au sujet du retour au pays des objets et œuvres d'art des peuples premiers présents dans nos nombreux musées occidentaux dont celui de Tervuren.
Nous avons démarré la soirée par les présentations des intervenants ainsi planter le décor, Guido GRYSEELS est directeur de l'un des plus grands musée européens consacré aux collections d'Afrique Noire plus particulièrement celle de la République Démocratique du Congo (pays colonisé par la Belgique de 1885 à 1960), du Rwanda et du Burundi. Le musée de Tervuren a ré-ouvert ses portes en fin 2018 suite à des années de travaux. Il compte environ 120 000 pièces de la vie quotidienne (vue par les visiteurs et les experts comme des œuvres d'art) et 8 000 instruments de musique. Il explique que 80% du patrimoine africain se trouve en dehors du continent lui-même dans nos musées, des collectionneurs privés et des particuliers (ex-missionnaires ou militaires et particuliers qui y ont vécu et acquis légalement ou non des pièces de vie quotidienne ou d'art).
Il ne fait pas de langue de bois sur la provenance de ses collections en reparlant de spoliation, de pillage, de dénationalisation de l'art et de confiscations.
Il explique qu'il travaille déjà avec des groupes de travaux, collègues congolais et rwandais sur cette question du retour des collections au pays.
Il explique actuellement où sont les infrastructures, la situation économique et l'engagement des états à traiter et régler cette question. Le 1er pays qui réellement reprendra ses collections aux musées occidentaux sera le Rwanda car tout est mis en œuvre pour le permettre. En ce qui concerne la RDC, il explique que le pays doit déjà parvenir à rassembler, archiver, conserver ses propres collections nationales. La République Démocratique du Congo est un état de 2,345 millions de km2, la priorité est de créer des lieux culturels avec ce qu'ils possèdent encore pour renforcer l'identité nationale, l'héritage commun et fédérer plus d'enthousiasme autour de ce patrimoine qui constitue cet immense pays.
Il évoque le chiffre de 45 000 pièces à Kinshasa qui doivent être " gardées" dans les meilleures conditions.
Il n'est pas fermé à l'idée du retour au pays des collections. Il se montre plus enthousiaste à l'idée de collaborer toujours plus avec les pays d'origine pour mieux mettre en valeur les collections présentes dans les musées occidentaux et beaucoup mieux représenter les histoires de ses objets et ses peuples trop souvent montrés comme " sauvage " par l'histoire occidentale.
Le temps de parole a été repris par Toma MUTEBA LUNTUMBUE artiste, historien d'art et commissaire d'exposition indépendant congo-belge. Pour lui, la restitution totale est inéluctable et est un but final (c'est une dynamique à mettre en place sur le long terme et elle nécessite des échanges de fond sur nos rapports colons/colonisés > ex-colons/ex-colonisés). Il ré-insiste sur la distinction entre objet culturel et artistique...l'importance de se dire que nous réfléchissons souvent de manière innée avec des normes de conservation des collections à l'européenne. Ce qui crée, donne déjà une orientation à la conversation.
Lui pense qu'il est utile de saisir ce débat comme une chance de remettre en question notre manière de créer nos musées. Il a toujours trouvé ça insensé d'exposer des masques de peuples premiers sous cloche comme des prisons alors qu'à la base se sont des objets vivants : ils représentent un esprit, une croyance, une personne avec un costume, une danse, etc.
Il explique aussi qu'une idée à diffuser massivement en même temps qu'on débat de cette question, c'est qu'il n'y aura ni vainqueur, ni vaincu. Bien évidemment ses collections ont été acquises en très grande majorité de manière illégale, dans le sang, en bafouant les droits humains et l'humanité des personnes qui les ont créés mais le retour des œuvres n'est pas là pour répéter un rapport de dominant/dominé mais plutôt selon lui pour encourager à inverser cette tendance à la hiérarchisation des rapports humains et d'état.
Il rejoint le 1er intervenant sur le fait que les états d'origine ont eux-mêmes évolués bien que la question des restitutions fait grand bruit...elle n'est pas forcément une urgence immédiate pour certains états. Lui, congolais et belge fait de nombreux aller-retours en RDC et explique que la priorité là-bas pour l'instant est de créer une identité nationale avec ce qu'ils leur restent dans leur gigantesque pays...et le rendre accessible au plus grand nombre pour que la population s'en rend compte.
Il termine sa présentation par une valeur qui lui est chère et elle aussi euro-centrée...c'est celle de " La liberté de circulation des œuvres ". Pourquoi les vestiges culturels mondiaux devraient par définition être exposés dans les musées occidentaux. L'émergence de nouvelles scènes d'échange international pousse l'Occident à prêter ou faire voyager ses collections en premier lieu par l'ouverture d'extension de musée dans les pays émergents comme le Louvre d'Abou Dabi mais cela reste encore assez paternaliste alors pourquoi pas penser à plus de collaboration entre les collections muséales du Nord vers le Sud sans pour autant être le petit frère ou sœur de son homologue occidental.
Enfin je termine les présentations avec Geoffrey GRANDJEAN professeur à l’Université de Liège, créateur et responsable des Cahiers Mémoire et Politique de cette même université.
Ce troisième intervenant a amené son point de vue par le biais de questions que lui-même se pose lorsqu'il réfléchit sur ce sujet et que nous pouvons entre autre nous poser :
- Qui est concerné ? La notion de propriété d'état, de patrimoine immatériel ou matériel, commun ou non.
- De quoi parle-t-on ? Objet matériel : artistique ou pas...du coup valeur symbolique ou marchande - immatériel : certains objets ont été détruits/volés/perdus avec les conflits mondiaux pourtant ils nous restent des archives (photos, document) à qui ils appartiennent et quelle valeur ont-ils ?
- Pourquoi veut-on restituer les œuvres ? Et d'où vient " réellement " cette demande ? Les états africains demandent le retour de leurs œuvres depuis leurs indépendances respectives, les amérindiens le réclament aussi depuis des décennies. Pourquoi rien ne bouge depuis si longtemps (souhaitons nous maintenir la domination en imposant des conditions de restitution) ? Est-ce une volonté de réparer l'histoire ?
- Comment les restituer ? Au niveau des lois ce qui est permis (les soi-disant contraintes) n'est-il pas possible d'alléger le processus ?
Les présentations faites, Francoise BONIVERT a supervisé le débat d'abord en demandant l'éclaircissement de certaines positions des intervenants, puis en leur posant des questions à chacun ou en écho à l'un des intervenants et pour terminer par les questions du public. La conférence était très rapide, je pense qu'il y a eu 50/55 min de prise de parole des intervenants et de la modératrice et 10/15 min de question/réponse avec le public.
Certaines personnes du public ont déploré une méprise entre le titre de la conférence et son contenu. Bien que personnellement, j'ai beaucoup apprécié son contenu. J'étais d'accord avec l'un ou l'autre spectateur qui trouvait que c'était trop centré sur le continent africain. Plusieurs auraient aimé qu'on parle des collections antiques européennes car la Grèce demande aussi le retour de ses collections à l'Angleterre depuis des siècles. Nous aurions pu parler des destructions muséales perpétrées par Daesh ou d'autres groupuscules qui utilisent les collections comme monnaie d'échange ou par anti-occidentalisme, etc.
En tout sincérité, je pense que la soirée et son intitulé étaient très intéressants, le contenu des échanges également. Mais le temps imparti était beaucoup trop insuffisant déjà en se " focalisant " sur le continent africain et encore nous avions parlé en générale.
Cet article est là pour planter le décor/le point de départ de cette conférence. Je compte revenir cette semaine avec une ou deux vidéos pour plus me concentrer sur les questions qui ont été soulevées durant la soirée et leurs réponses. L'approfondissement de positions des intervenants, les divergences entre eux et mon point de vue avant/après cette conférence.
Puisque je trouve que c'est un sujet très vaste et complexe à aborder ainsi, j'ai envie de le faire dans les meilleures conditions. J'espère que vous me comprenez, aucun suspens juste une volonté de vous rendre le partage constructif, clair et fluide.
Je vous souhaite un très bon dimanche, si vous avez des questions/réactions déjà avec cette première partie, partagez-les-moi vraiment SVP (je ne suis pas là pour vous transmettre simplement des informations ou des expériences et que vous les avaliez sans rien dire. Le blog est un espace d'échange de moi vers vous et de vous vers moi). Je reviens très prochainement avec la suite ;-)
Prenez soin de vous,
Marianne
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P.S : Photos personnelles prises lors de ma visite du 20 juillet 2019, de l'exposition à l'origine de cette conférence " MASQUES - QUAI BRANLY " - l'exposition montrait 80 masques de peuples premiers venants des quatre coins du monde, masques prêtés par le Musée du Quai Branly - Jaques CHIRAC (à Paris).